Le 27 juin 2024, le Conseil canadien des responsables de la réglementation d’assurance (le « CCRRA ») a publié un rapport intitulé Mandat de surveillance du CCRRA sur la gouvernance et la culture d’entreprise en termes de traitement équitable des consommateurs : rapport consolidé des observations, recommandations et bonnes pratiques (le « rapport »), qui fournit un nouvel éclairage sur la gouvernance et la culture d’entreprise en termes de traitement équitable des consommateurs (le « TEC ») au sein de l’industrie de l’assurance au Canada, formule des recommandations et identifie les meilleures pratiques en matière de TEC. Le CCRRA a produit son rapport en se basant sur les observations tirées de différentes interventions menées par les régulateurs provinciaux auprès de 40 assureurs au Canada, dont les travaux de surveillance concertée qui ont été menés par les membres du CCRRA auprès de 26 assureurs et qui se sont terminés en octobre 2023, ainsi que des examens individuels du TEC effectués depuis 2017.
Dans les communications relatives à son rapport, le CCRRA a déclaré que les examens susmentionnés lui ont permis de brosser un portrait de la gouvernance et de la culture d’entreprise en termes de TEC au sein de l’industrie de l’assurance au Canada, d’identifier les bonnes pratiques et les zones où des améliorations étaient requises. Le CCRRA a également noté que la plupart des assureurs détenant les « plus grosses parts de marché » ont déjà mis en œuvre certains éléments identifiés dans les recommandations du rapport.
Bien que plusieurs assureurs aient affirmé dans leur déclaration annuelle sur leurs pratiques commerciales que le niveau de maturité de leur entreprise en matière de gouvernance et de culture du TEC était à un « stade avancé », les travaux de surveillance effectués par les autorités de réglementation des assurances au Canada ont plutôt révélé que seul un petit pourcentage de ces assureurs pouvait démontrer que leur conseil d’administration et leur haute direction avaient intégré et promu des éléments de la culture du TEC ou que cette culture était présente à tous les niveaux de l’organisation.
Le rapport met en évidence les observations et les recommandations du CCRRA dans les domaines suivants :
- Rôles et responsabilités du conseil d’administration et de la direction générale en matière de TEC;
- Codes d’éthique ou de conduite, politiques et objectifs de TEC mis en place par les assureurs;
- Gestion des risques et pratiques commerciales susceptibles d’avoir un effet négatif sur le TEC;
- Information relative au TEC communiquée à la haute direction et au conseil d’administration des assureurs.
Il est également important de noter que les observations et les recommandations formulées dans le rapport s’appliquent aux assureurs inscrits en assurance de personne (assurance-vie et assurance maladie) et en assurance de dommages, sur le territoire des régulateurs participants.
Dans le présent article, nous résumons les observations et les recommandations formulées dans le rapport et examinons les principales répercussions du rapport pour les assureurs exerçant des activités au Canada.
I. Rôles et responsabilités du conseil d’administration et de la haute direction
Le rapport note que le conseil d’administration d’un assureur (y compris les comités de ce dernier), la direction générale et les personnes responsables des fonctions de supervision constituent les piliers sur lesquels le cadre de gouvernance de l’assureur en matière de TEC doit reposer.
a) Observations
Le CCRRA a constaté que les assureurs n’avaient pas toujours confié à leurs administrateurs ou à un comité de leur conseil d’administration les responsabilités de veiller au respect des saines pratiques commerciales et de surveiller l’évolution de la culture d’entreprise ainsi que les risques de pratiques inadéquates susceptibles de nuire au TEC. En outre, certains assureurs n’avaient pas défini et documenté les rôles et responsabilités en matière de TEC des membres de leur conseil d’administration. Par exemple, les assureurs qui confient à leur conseil la responsabilité de veiller au « respect des exigences légales et réglementaires » sans mention à des responsabilités plus spécifiques au TEC ne répondent pas, selon le CCRRA, aux attentes en matière de TEC et à l’obligation de définir les rôles et responsabilités en matière de TEC.
Les rôles et responsabilités en matière de TEC des membres de la haute direction n’ont pas toujours été définis ou documentés. En outre, certains rôles et responsabilités ont été attribués à une personne et non à la fonction occupée par celle-ci, ce qui peut entraîner des bris de continuité si la personne quitte l’organisation.
b) Recommandations
Le CCRRA recommande aux assureurs de confier aux membres de leur conseil d’administration respectif (ou à l’un de ses comités) la responsabilité de veiller au respect des saines pratiques commerciales ainsi que de surveiller l’évolution de la culture d’entreprise et les risques de pratiques inadéquates susceptibles de nuire au TEC. Le rapport fournit certains exemples de thèmes que les rôles et responsabilités peuvent cibler, notamment la culture relative au TEC de chaque assureur; la surveillance du risque relatif au TEC; les politiques et les codes d’éthique et de conduite, ainsi que les structures de gouvernance en termes de TEC.
Le rapport recommande également aux assureurs de définir et de documenter tous les rôles et responsabilités en matière de TEC attribués aux membres de la haute direction. Le rapport note que ces rôles et responsabilités peuvent comprendre, sans s’y limiter, l’obligation de rendre compte en matière de TEC, le respect des lois et règlements et la conformité aux attentes des autorités de réglementation, la formation des employés et la communication des attentes en matière de TEC, ainsi que la gestion des risques liés au TEC (y compris les risques découlant de l’externalisation et des relations entre les assureurs et les tiers).
II. Codes d’éthique ou de conduite, politiques et objectifs de TEC
Le rapport précise que la « culture d’entreprise » réfère aux valeurs et aux normes communes qui caractérisent une entreprise et influencent la façon de penser ainsi que les actions de l’ensemble des membres du personnel. Il incombe aux conseils d’administration des assureurs de veiller à ce que le code d’éthique de leur organisation respective renforce et préserve la culture d’entreprise et permette de maintenir de hauts standards en matière d’éthique et d’intégrité.
Les cadres supérieurs sont chargés de promouvoir une culture d’entreprise centrée sur le TEC et de saines pratiques commerciales, y compris (i) d’établir des objectifs, des stratégies, des politiques, des processus et des procédures conformes aux valeurs de l’organisation et permettant d’atteindre des résultats attendus en matière de TEC; et (ii) d’établir des mécanismes de contrôle visant à s’assurer que la conduite du personnel de l’assureur est conforme aux valeurs de l’organisation en matière de TEC.
Il est important de noter que les politiques respectives des assureurs régissant les opérations commerciales (p. ex., la souscription, la conception des produits, la tarification, la distribution et le traitement des réclamations) devraient également intégrer des objectifs liés au TEC.
a) Observations
Voici en bref ce que le CCRRA a noté dans le cadre du processus d’examen sur lequel repose son rapport :
- Bien que tous les assureurs détenaient un code d’éthique ou de conduite, leur réseau de distribution externe était soumis au code de l’assureur dans seulement environ 50% des cas;
- Environ 73% des assureurs ont adopté une ou plusieurs politiques en matière de TEC;
- Dans certains cas, les politiques en matière de TEC ou leur code d’éthique ou de conduite n’ont pas été approuvés par le conseil d’administration; dans d’autres, il n’y avait aucune évidence que la politique avait été approuvée par le conseil d’administration; et
- Certains assureurs n’ont pas révisé ou mis à jour leurs politiques internes régulièrement ou n’ont pas respecté la fréquence de révision que leur dictent leurs lignes directrices internes.
Selon ce que le CCRRA a constaté, les assureurs dont l’opérationnalisation des principes liés au TEC était plus avancée avaient intégré le TEC dans d’autres politiques afin de s’assurer que cette culture soit présente à toutes les étapes du cycle de vie d’un produit ou d’un service qu’ils offrent.
b) Recommandations
Pour répondre aux observations susmentionnées, le CCRRA recommande aux assureurs de prendre certaines mesures, s’ils ne l’ont pas déjà fait, dont les suivantes :
- Adopter un code d’éthique ou de conduite;
- Élaborer une politique en matière de TEC et la communiquer à leurs parties prenantes respectives;
- Faire approuver les politiques et le code d’éthique ou de conduite par leur conseil d’administration; et
- Faire réviser et mettre à jour régulièrement les politiques et les codes d’éthique ou de conduite.
III. Gestion des risques et des pratiques commerciales
Le rapport indique que la haute direction d’un assureur doit voir à l’établissement de mécanismes de contrôle pour générer des informations permettant à son conseil d’administration de suivre la performance de l’organisation (y compris l’établissement d’un processus d’amélioration continue) en matière de TEC. Un assureur doit également prendre les mesures requises, le cas échéant, pour corriger certaines pratiques de son personnel qui vont à l’encontre du TEC.
a) Observations
Le CCRRA a constaté que seulement 9% des assureurs faisaient référence à des risques spécifiques en matière de TEC dans leurs cadres respectifs de gestion des risques et dans les politiques correspondantes. En outre, des assureurs ont intégré certains volets des risques en matière de TEC à d’autres catégories de risques, telles que les risques réglementaires ou opérationnels. Le CCRRA estime qu’une telle intégration des risques en matière de TEC aux politiques et procédures de gestion des risques existants ne permet pas au conseil d’administration ou à la haute direction d’évaluer correctement les risques en matière de TEC et d’y réagir. Le rapport note que les mécanismes de contrôle des assureurs n’étaient pas toujours suffisants pour générer des informations à l’intention du conseil d’administration et pour mettre en œuvre un processus d’amélioration continue pour le TEC.
b) Recommandations
Le CCRRA recommande que les assureurs (i) intègrent à même le cadre de gestion intégrée des risques, le risque spécifique associé aux pratiques commerciales susceptibles de nuire au TEC; et (ii) mettent en place ou renforcent les contrôles permettant de générer des informations pour le conseil d’administration qui soutiennent le suivi, l’évaluation de la performance et un processus d’amélioration continue de la société en matière de TEC.
IV. Information sur la performance en matière de TEC à l’intention du conseil d’administration et de la haute direction
Le conseil d’administration d’un assureur est responsable d’examiner la performance de la société en matière de TEC et, le cas échéant, de veiller à ce que des mesures correctives nécessaires soient apportées. Toutefois, tous les membres d’un assureur doivent comprendre l’importance d’une reddition interne en matière de TEC.
a) Observations
Le CCRRA a constaté que certains assureurs n’avaient pas défini d’objectifs de TEC dans leur plan stratégique ou, lorsqu’ils étaient définis, la formulation utilisée était très générale et correspondait à celle des cadres réglementaires applicables et n’était donc pas adaptée à l’activité de l’assureur. Les objectifs fixés par les assureurs en matière de TEC n’étaient pas accompagnés d’indicateurs permettant d’en mesurer l’atteinte. Plus particulièrement, le rapport précise que les indicateurs mis en place par les assureurs étaient principalement axés sur les résultats des ventes. Les assureurs utilisaient principalement des indicateurs de temps de traitement des demandes d’indemnisation ou des appels, les plaintes et les taux de satisfaction des clients. Toutefois, le CCRRA a estimé que ces indicateurs étaient insuffisants pour évaluer correctement la performance d’un assureur en matière de TEC.
Dans certains cas, il a été constaté que les rapports pour la haute direction et le conseil d’administration sur la performance globale de la société en matière de TEC n’étaient pas optimaux ou n’étaient pas produits. Certains assureurs n’étaient pas en mesure de démontrer qu’un processus formel de révision de ces objectifs et indicateurs de performance était en place.
b) Recommandations
Le rapport indique que les assureurs devraient prendre les mesures suivantes, le cas échéant, pour atteindre une gouvernance robuste en matière de TEC :
- Documenter les objectifs en matière de TEC, les communiquer à toutes les parties prenantes et les mettre en œuvre dans le cadre de leurs activités;
- S’appuyer sur les indicateurs de performance existants en matière de TEC et en développer de nouveaux (le rapport contient une liste utile d’exemples d’objectifs et d’indicateurs utilisés par certains assureurs);
- Mettre en œuvre des outils permettant d’analyser les indicateurs afin de déceler les problématiques en matière de TEC et apporter des correctifs, lorsque requis;
- Mettre en place des mécanismes pour bien communiquer l’information pertinente à la haute direction et au conseil d’administration afin de leur permettre d’avoir une vision globale ainsi que l’assurance que les objectifs et stratégies en matière de TEC ont été atteints et ainsi apprécier la performance de la société en cette matière.
V. Prochaines étapes pour les assureurs exerçant des activités au Canada
Le rapport souligne que certains assureurs sont plus avancés que d’autres dans la mise en œuvre de pratiques, de politiques et d’objectifs en matière de TEC. Par conséquent, les observations et les recommandations du rapport ne s’appliquent pas nécessairement à tous les assureurs, en particulier lorsque ces derniers disposent déjà d’un solide régime de conformité aux lois et aux attentes en matière de TEC. Toutefois, tous les assureurs exerçant des activités au Canada devraient lire ce rapport afin de déterminer si, et dans quels cas, leur niveau de conformité en matière de TEC est en deçà des attentes des régulateurs. Cette auto-évaluation doit être réalisée par la haute direction, documentée de manière rigoureuse et présentée pour examen au conseil d’administration ou à l’agent(e) principal(e).
La conformité aux lois et attentes en termes de TEC doit devenir un sujet de discussion régulier du conseil d’administration et de la haute direction. Tous les aspects de l’exploitation de la société, de la conception des produits à la création d’algorithmes pour la souscription, en passant par la gestion des réclamations, doivent tenir compte du TEC. L’intégration de la conformité en matière de TEC dans l’opérationnalisation de la stratégie et l’exécution du plan d’affaires de l’entreprise est essentielle. Il est crucial d’allouer des ressources aux personnes chargées de garantir le respect des attentes en matière de TEC, ainsi que de documenter ces efforts de manière exhaustive. Les politiques et processus doivent démontrer clairement que les considérations liées au TEC sont intégrées de manière formelle.
Tous les assureurs opérant au Canada (y compris ceux qui exercent leurs activités par l’intermédiaire d’une succursale) devraient inclure ce rapport parmi les ressources à consulter dans le cadre de leur processus interne régulier de conformité réglementaire. Lorsqu’ils procèdent à cet examen, les assureurs doivent se poser la question à savoir quelles sont les obligations contractuelles des principaux distributeurs (y compris les agents généraux de gestion, les courtiers et les représentants) vis-à-vis de l’assureur, et si ces obligations incluent le respect des principes et des objectifs en matière de TEC énoncés dans le rapport. Cela peut inclure l’exigence pour les distributeurs de se conformer au code de conduite de l’assureur, lequel intègre expressément certaines obligations en matière de TEC.
Nous recommandons aux assureurs de prêter une attention particulière à l’évaluation de leurs droits d’audit respectifs dans les accords contractuels afin de s’assurer qu’ils sont suffisants pour permettre à l’assureur de contrôler efficacement le respect par les distributeurs de toute obligation liée au TEC imposée par l’assureur. De plus, il est crucial que les assureurs exercent régulièrement leurs droits d’audit et qu’ils fournissent des rapports écrits à leurs contreparties. Les mesures correctives ou d’amélioration doivent être suivies et documentées de manière rigoureuse. Par ailleurs, l’examen des accords contractuels entre assureurs et distributeurs, à la lumière des directives du rapport, doit également inclure (le cas échéant) une évaluation de la conformité de ces accords avec la ligne directrice B-10 (Ligne directrice sur la gestion du risque lié aux tiers) du Bureau du surintendant des institutions financières (Canada) (le « BSIF »). Cette ligne directrice, qui a été mise à jour pour la dernière fois en avril 2023, énonce les attentes du BSIF en ce qui concerne la gestion par les assureurs des risques associés aux accords contractuels conclus avec des tiers.
Les membres du groupe Assurance de Dentons Canada seront heureux de discuter avec vous de la façon dont vous pouvez intégrer la ligne directrice B-10 du BSIF et les exigences en matière de TEC qu’on trouve dans le rapport à vos politiques et procédures existantes en matière de conformité et aux ententes contractuelles conclues avec des distributeurs.
Pour obtenir de plus amples renseignements au sujet de ce qui précède, veuillez communiquer avec les auteurs, Laurie LaPalme, Derek Levinsky, Marisa Coggin ou Jesse Collins-Swartz (en anglais) ou avec un membre du groupe Assurance de notre bureau de Montréal (en anglais ou en français).